L’Informatique Quantique : où en est-on en 2024 ?

- Billet d’humeur par Michèle COLLY -

Ordinateur quantique utilisant une puce pour qubits supraconducteurs


Loin du bruit généré par le marketing qui package les avancées plus vite que la lumière, de belles réalisations ont été faites ces dernières années dans le monde de l’informatique quantique.

Même si on est encore loin d’une mise à l’échelle globale, beaucoup ont franchi le stade de la recherche théorique, pour « POCer » à tout va.

Dans ce billet blog, je vais essayer de passer rapidement en revue les avancées réalisées par les constructeurs et fournisseurs leaders du marché, en m’appuyant sur l’excellent ouvrage « Quantum Technologies d’Olivier Ezratty 2024 », que je vous recommande si vous vous intéressez de près au sujet.

 

Une course technologique

Plusieurs grands noms de l'IT et des nouveau-nés se sont lancés dans une course effrénée pour gagner cette compétition acharnée, avec de futurs marchés à la clé.

Dans le monde de l’infiniment petit, les qubits se catégorisent en trois éléments : les atomes, les électrons et les qubits volants.

Les Atomes

Parmi eux, nous trouvons les atomes froids dits neutres, et les ions piégés.

Les atomes neutres

Les atomes neutres se démarquent le plus à ce stade. Dans un environnement cryogénique frôlant les -267 °C (6 K), les atomes sont refroidis à l’aide de champs électromagnétiques. On les trouve principalement sous forme de rubidium issus des métaux alcalins. C’est la technologie choisie notamment par la jeune pousse française Pasqal fondée en 2019, qui a fait une percée sur l’échiquier mondial des atomes froids.

➡️ Points forts : 100-300 atomes en simulation, temps de cohérence long, portes rapides, contrôle des atomes, qubits logiques, faible consommation d'énergie, …

➡️ Points faibles actuels : simulation à moyenne échelle, ...

➡️ Évolution possible : Lasers plus puissants, atomes mobiles lors de la lecture, interconnexion atome /photon, ...

➡️ Leaders du marché en 2024 : Pasqal (investissement : 140M), QuEra Computing, Infleqtion (183M), ...

atome de rubidium élément périodique

Les ions piégés

Les ions piégés sont des ions d’atomes (calcium, strontium, …) piégés électromagnétiquement. Maintenus sous vide par suspension électrostatique, ils sont initialisés par pompage optique laser, puis refroidis et stabilisés par lasers. Les portes quantiques à 1 qubit sont activées par micro-ondes, lasers ou dipôles magnétiques, tandis que les portes à 2 qubits par lasers ou électrodes. Ce sont les meilleurs de leur catégorie en termes de fidélité et de connectivité.

➡️ Points forts : Fidélité, connectivité, rentabilité, temps de cohérence, intrication, ...

➡️ Points faibles actuels : Lenteur, bruit généré au-delà de 10 qubits, ...

➡️ Évolution possible : Entraînement qubits, interconnexion photons, autres éléments chimiques, ...

➡️ Leaders du marché en 2024 : IonQ (700M), Quantinuum (800M), AQT, ...

laser servant à piéger des ions

Les électrons et cavités micro-ondes

Alors que les atomes neutres et les ions piégés sont contrôlés sous vide, les électrons peuvent être directement contrôlés dans des circuits à l'état solide. Parmi eux, on trouve les qubits supraconducteurs,les qubits de spin en silicium, les Centres NV, et les qubits topologiques.

Les Qubits Supraconducteurs

Les Qubits Supraconducteurs existent sous plusieurs formes : flux, phase et charge. Le plus courant est le transmon, une variante des qubits de charge. Basés sur des portes, les qubits supraconducteurs offrent la meilleure architecture évolutive à ce jour. Ils sont exploités par de grands noms comme IBM, Google, Rigetti, Amazon, Alibaba, ainsi que de nombreuses startups. Toutefois, le bruit et leur fidélité de lecture empêchent leur mise à l’échelle industrielle. L’écart entre le nombre de qubits physiques disponibles (ex : IBM (133), Rigetti (80), Google (72)), et le nombre de qubits réellement exploités par les algorithmes ne dépassent pas les 20 à l'heure actuelle.

➡️ Types de qubits : Phase, flux, charge (transmon), bosonique

➡️ Points forts : Les plus éprouvés, les plus financés, techniques de correction d’erreurs, …

➡️ Points faibles actuels : Bruit, câbles, coût énergétique, taille des qubits, fidélités bien inférieures aux ions piégés, …

➡️ Évolution possible : Amélioration des matériaux, nouveaux éléments, interconnexion photonique, multiplexage du signal, cryostat plus efficace, …

Leaders du marché en 2024 :

  • IBM (2300M), qubits de charge
  • D-Wave (725M), qubits de flux
  • Google (700M), qubits de charge
  • Rigetti (600M), qubits de charge
  • AWS (300M), qubits bosoniques
Ordinateur quantique de type IBM avec plateaux sur fond sombre
  • Record : IBM avec 156 qubits opérationnels (Heron r2).

Les qubits de spin en silicium

Les qubits de spin en silicium codent les informations dans les spins des électrons et permettent d’effectuer ainsi des calculs. Bien que leurs recherches aient commencé sur le tard, la technologie s’annonce plus prometteuse que les qubits supraconducteurs, en raison de leur miniaturisation, de leur évolutivité et surtout des processus de fabrication connus autour des semi-conducteurs CMOS.

➡️ Points forts : Facile à miniaturiser, évolutivité, …

➡️ Points faibles actuels : Techno immature, 15 qubits max, temps de fabrication, intrication, correction d'erreurs, …

➡️ Evolution possible : Bruit, matériaux, interfaces cryostats, fabs, …

➡️ Leaders du marché en 2024 : Intel (300M), SQC Australie (100M), …

traits de lumière circulant sur un processeur

Les Centres NV

Les Centres NV sont des cavités artificielles d’un cristal de diamant dans lesquelles on peut contrôler le spin des électrons piégés.

➡️ Points forts : Température ambiante, temps de cohérence long, structure diamant stable, peut servir aux télécommunications quantiques optiques, ...

➡️ Points faibles actuels : Évolutivité, 4 à 10 qubits, fidélités moyennes, …

➡️ Évolution possible : Interconnexion cavités/clusters de spins nucléaires, amélioration fabrication, …

➡️ Leaders du marché en 2024 : Quantum Brilliance, SaxonQ, Turing, ...

structure de diamants avec multiples cavités

Les Qubits topologiques

Les Qubits topologiques sont composés d'anions ou de quasi-particules généralement associés en couples (paires de Cooper) dans de la matière condensée à très basse température. Ces qubits utilisent le tressage, un effet topologique permettant une correction d'erreurs.

  • Points forts : Stabilité, tolérance aux erreurs, cohérence longue, vitesse des portes, évolutivité, entraînement, ...
  • Points faibles actuels : Existence non prouvée (fermions de Majorana), au stade de la recherche fondamentale, une pincée d’acteurs, refroidissement, …
  • Leaders en recherche : Microsoft, Quoherent, Quantum, …
tressage numérique sur fond bleu

Les qubits volants

Les qubits photoniques sont les plus courants, utilisant la polarisation horizontale/verticale observable, ou des variables continues. La plupart des qubits fonctionnent à température ambiante, mais les sources de photons et leurs détecteurs doivent être refroidis à des températures comprises entre 4K et 10K (loin des 15 mK des supraconducteurs ou des 1K des qubits de silicium). La génération probabiliste de photons se complique lorsque le nombre de qubits augmente.

➡️ Points forts : Qubits stables, température ambiante, mise à l'échelle, ...

➡️ Points faibles actuels : Refroidissement sources et détecteurs, sources probabilistes, …

➡️ Évolution possible : Intrication de groupes, sources plus puissantes et déterministes, ...

➡️ Leaders du marché en 2024 : PsiQuantum (1300M), Quandela, Xanadu (200M), …

Les électrons volants

Les électrons volants font toujours partie de la recherche fondamentale. Non localisés, ils peuvent cependant être manipulés lors de leur propagation par un courant électronique. Le support matériel contient simplement une architecture extensible de portes logiques. Ils sont créés en produisant des photons convertis en électrons.

électrons volants sur fond noir


En conclusion,

À ce stade, les qubits supraconducteurs mènent clairement la danse, suivis par les ions piégés et les qubits photoniques. Les atomes froids et les qubits de silicium souffrent pour l’heure d’un manque d’investissement. Quant aux qubits topologiques et volants, ils n’ont pas encore dépassé le stade de la recherche fondamentale. Mais tout peut encore changer dans les années à venir.

Affaire à suivre 😊

État de l'art de l'Informatique Quantique

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